Sophocle - Électre - Premier épisode lyrics

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Sophocle - Électre - Premier épisode lyrics

Personnages: Électre, fille de Clytemnestre et d'Agamemnon. Oreste, son frère. Chrysothémis, sa sœur. Clytemnestre. Égisthe, fils de Thyeste, roi usurpateur d'Argos et de Mycènes. Le Précepteur d'Oreste. Le chœur des jeunes filles de Mycènes. Pylade (personnage muet). PROLOGUE: Entrent Pylade, Oreste et le Précepteur LE PRÉCEPTEUR: Fils de celui qui fut jadis chef devant Troie, Te voilà parvenu au cœur de ce pays, Celui que tu voulais ardemment retrouver. Voici l'antique Argos, ton vœu, ta nostalgie, Ce domaine sacré de l'enfant d'Inachos, Taraudé par le taon ; Oreste, vois là-bas, C'est le parvis lycien, dédié au dieu tueur De loups ; plus loin voici l'Héraion, ce grand temple Nous arrivons enfin dans Mycènes dorée : Vois s'élever, sanglant, le palais de Pélops, Où jadis, aussitôt le meurtre de ton père, Ta jeune et douce sœur te confia à mes soins : Je t'ai pris, emporté, gardé jusqu'à cet âge, Afin que soit vengé ton père a**a**iné. En ce jour, cher Oreste, et toi aussi Pylade, Hôte charmant, il faut décider sur-le-champ Et agir. Vois, l'éclat radieux du soleil Inspire les chansons d'aurore des oiseaux, Et le calme nocturne, étoilé, se dissipe. Avant qu'âme qui vive ait quitté le palais, Soyez unis tous deux car en un tel moment, À cette extrémité, nul ne peut se laisser Étreindre par le doute : il est grand temps d'agir ! ORESTE: Ô toi, qui m'es si cher parmi mes serviteurs, Quels nobles sentiments tu montres à mon cœur. Comme un cheval racé, qui, malgré la vieillesse, Ne perd jamais courage au milieu du danger Et dresse son oreille, ainsi me pousses-tu À agir avec toi ! Je vais donc t'éclairer Sur mon plan : je te prie d'écouter mes paroles, Et s'il advient que je m'écarte quelque peu, Aussitôt remets-moi sur un meilleur chemin. Je suis allé auprès de l'oracle delphique Pour demander comment a**ouvir ma vengeance Contre les meurtriers de mon père : et voici Ce que m'a dit Phébos, des mots que je te livre Sans tarder : « Il me faut, sans user de l'épée, Sans une seule armée, par feinte et tromperie, Mettre à mort de sang-froid, car telle est la justice. » Voici l'ordre formel ! De ce fait, prends prétexte D'entrer dans le palais, sache ce qui s'y pa**e, Et rapporte-le nous. Tu es vieux, et le temps A pa**é et l'on ne te reconnaîtra pas ; Tu es hors de soupçon, toi qui es si chenu. Valorise avant tout le conte que voici : Tu es un étranger de Phocée, émissaire De Phanotée, le plus fameux de leurs alliés. Avoue- leur sous serment qu'Oreste a trépa**é, Victime du destin, qu'il est tombé d'un char Au milieu d'une course, au cours des jeux pythiques. Que cela soit bien clair. Quant à moi, je m'en vais, Comme il est rituel, m'incliner sur la tombe De mon père, et offrir quelques libations ; Je lui ferai aussi le don de ces cheveux. Puis, je retournerai ici, avec en mains, L'urne d'airain, dont tu sais que je l'ai cachée Sous un taillis : alors, nous pourrons les berner Par un mensonge doux pour eux : je leur dirai Que mon corps est détruit et qu'il n'est plus que cendre. Que puis-je redouter d'une mort inventée, Puisque, toujours en vie, je gagnerai la gloire ? Non, on ne doit jamais taire les arguments Qui sont d'un bon profit ; et j'ai vu bien des sages Que l'on croyait morts, qui, une fois reparus, Ont conquis grâce à eux un prestige innommable. Moi aussi, c'est certain, après cette nouvelle, Je serais éclatant face à mes ennemis. Ô sol de mes aïeux, ô dieux de ma patrie, Permettez, je vous prie, le succès de mon plan. Toi aussi, ô maison paternelle où je vais Me purifier en tant que justicier divin ; Faites que je ne sois point renvoyé de ces lieux, Que je puisse reprendre enfin ce qui est mien, Et retrouver mon rang. Mais j'ai a**ez parlé. C'est à toi, ô vieillard, de partir et de faire Ce qui est convenu. Poursuivons notre route, Tel est le vœu profond, celui d'Occasion, Souveraine avertie des actions humaines. ÉLECTRE: Je suis bien malheureuse ! LE PRÉCEPTEUR: J'ai l'impression d'entendre À la porte le cri étouffé d'une esclave. ORESTE: Mais ne serait-ce pas la malheureuse Électre ? Restons un peu, veux-tu, pour écouter sa plainte. LE PRÉCEPTEUR: Non. Ce qu'il faut d'abord, c'est obéir aux ordres De Loxias. Commençons par offrir à ton père Des libations, car telle est la garantie Du triomphe final de nos plans glorieux. Ils partent, Oreste et Pylade d'un côté, le Précepteur de l'autre. Électre sort du palais. ÉLECTRE: Ô Lumière sacrée, Toi, air embra**ant la terre Tant de fois vous avez entendu mes cris, Vous m'avez vue frapper Ma poitrine sanglante, À l'heure où s'esquive la ténébreuse nuit. Quant à mes longues insomnies, Ma couche seule les connaît, Elle, ma confidente en ce palais atroce, Oui, cette couche qui voit aussi tous les sanglots Que je verse sur mon malheureux père, Lui dont le rouge Arès n'a point retenu en terre barbare : Non, c'est ma mère et son favori, Égisthe, Qui, d'un coup de hache, ont fraca**é son crâne, Pareil à des bûcherons abattant un chêne. Dire que nul au monde, si ce n'est moi-même, Ne crie sa rage d'un trépas si infâme et si injuste. Moi, je ne cesserai pas De pleurer, de gémir dans des cris affreux, Tant que je verrai luire l'éclat des astres Et les flèches du jour. Comme le rossignol devant son nid détruit, Je gémirai sans cesse d'une voix retentissante Au seuil du palais paternel. Ô maison d'Hadès et de Perséphone, Ô Hermès souterrain, Ô Malédiction, Et vous, Érinyes, effrayantes filles des dieux, Dont la prunelle épie les crimes monstrueux, Les actes vils commis au sein des foyers, Venez, a**istez-moi, et vengez Le meurtre de mon père, Ramenez-moi mon frère. Ma souffrance est si pesante Que moi seule, je ne suis qu'impuissance... ENTREE DU CHŒUR (v.120) CHŒUR: Ô enfant, ô Électre, Toi qui fus engendrée par une mère infâme, Pourquoi, d'une voix inla**able, Par des sanglots à n'en plus finir, Parler du piège impie Où fut abattu perfidement Agamemnon, Cette lâcheté. Ah ! que périsse le criminel, Si mon propos n'est point sacrilège. ÉLECTRE: Filles de noble race, Vous venez consoler ma peine, Je le sais, je le devine. Mais je ne faillirai pas, Car je me dois de pleurer sur mon pauvre père. Ô vous, tendres amies, Vous qui m'êtes si dévouées, Laissez-moi à ma folie, Je vous en supplie ! CHŒUR: Jamais du fond du marais infernal, Où tous nous pénètrerons, Tes prières et tes cris Ne rendront la vie à ton père ! À te laisser miner par un deuil sacrilège, En des plaintes sempiternelles, N'attends pas la fin de tes maux. Mais pourquoi donc te complais-tu dans la douleur ? ÉLECTRE: Il faut être léger pour livrer à l'oubli Des parents qu'un drame atroce vous a ravis. Mon cœur s'accommode si bien De la complainte désespérée, « Itys, Itys », De l'oiseau triste, messager de Zeus. Ô reine inconsolée, Niobé, je te loue comme une déesse, Toi qui,ensevelie sous un habit de pierre, Te désoles sans cesse. CHŒUR: Ma fille, tu n'es pas seule en ce monde À éprouver les affres du chagrin. Et tu te laisses trop ravager par lui. Regarde ceux de ton lignage et de ton sang, Vois Chrysothémis, Vois Iphania**a : elles savent vivre, elles ! Pense aussi à lui, À cet être point mortifié, jeune et heureux, Et qui de Mycènes la glorieuse Sera l'hôte bienvenu, Dès que Zeus, dans sa grande mansuétude, Permettra son retour, Oreste. ÉLECTRE: Je vis dans son attente, malheureuse, Sans époux, sans enfant ! Je suis engloutie par les larmes, Harcelée par le cortège incessant des tourments. Et lui, ne sait plus tout ce que j'ai fait pour lui. Ce que j'apprends à son sujet n'est qu'insignifiance. Il « voudrait », tel est son vœu, Mais il ne vient pas... CHŒUR: Courage, mon enfant, courage ! Dans le ciel trône le grand Zeus : Il voit tout et régit tout. Adresse-lui ta rancune implacable, Et ne poursuis pas ainsi Tes ennemis d'une haine tenace, Même s'il ne faut rien oublier. Vois-tu, le temps est un dieu compatissant... Après tout, celui qui habite là-bas, Aux rives de Crisa, ces riches pâturages, Le fils d'Agamemnon, Est loin sans doute d'abdiquer sa mission, Tout comme le dieu qui règne Sur le triste Achéron. ÉLECTRE: Hélas ! j'ai espéré en vain Et j'ai vu se dérober Mes jours les plus charmants. Et je me ronge ici, orpheline, Sans un parent se dressant pour défendre ma cause. Voyez : je fais la servante au palais de mes pères, Allant autour des tables Perpétuellement vides. CHŒUR: Ah ! ce cri effroyable à l'heure du retour, Ce cri qui retentit du lit de ton père, Lorsque, soudain, la hache au tranchant de bronze S'abattit de plein fouet sur son front ! La Trahison trama, l'Amour exécuta : Oui, tous deux ont engendré Cet acte monstrueux, et qu'importe que le bras armé Ait été le ciel ou un mortel ! ÉLECTRE: Ah ! ce jour-là fut le plus pernicieux Qu'il me fut donné de voir resplendir. Cette nuit... horreur indicible De ce banquet affreux, Lorsque mon père fut supplicié, ô infamie ! par les mains De ces deux mécréants, eux qui, dans le même temps, M'ont anéantie ! Puisse le dieu omnipotent de l'Olympe Leur prodiguer de semblables tourments ! Que jamais ils ne puissent goûter la moindre joie Après avoir perpétré une telle abomination. CHŒUR: Reprends-toi, cesse tes alarmes ! Ne vois-tu pas sur quelle voie Tu dérives en te livrant au vertige De ce deuil effroyable ? Tu ne fais qu'aggraver tes maux En faisant naître par ton humeur sombre Des heurts sans fin. Et contre les puissants, Tout affront est voué à l'échec. ÉLECTRE: Cette horreur, oui, cette horreur m'y contraint. Je le sais, la violence est en moi, Mais face à tant d'atrocités, Tant que je vivrai, Je n'apaiserai point mes plaintes irraisonnées. Ô filles aimées, qui va croire - À moins qu'il ne soit fou - que je sois disposée À me laisser enfin consoler ? Non, fi de vos bienveillants conseils ! Mon malheur est incurable, La chose est entendue, Et mon chagrin est intarissable. CHŒUR: C'est une amie qui te parle, Comme le ferait une mère, Et qui t'enjoint de ne pas ajouter Désastres sur désastres. ÉLECTRE: Mais ma misère est-elle encore mesurable ? Voyons ! Négliger les morts est-il juste ? Ce principe aurait-il cours chez certains mortels ? Non, je le réfute. Et si je suis encore digne, Que le Ciel me garde de subsister La paix au cœur auprès de ces gens. Ce serait une offense à mon père Que de refouler ainsi l'élan de mes sanglots. Si ce malheureux mort devait rester couché, Simple cendre et réduit au néant, Sans que les a**a**ins n'expient dans le sang, Juste châtiment, alors l'honneur et la piété Déserteraient ce monde. ÉPISODE 1: (v.250) LE CORYPHÉE: Mon enfant, si je suis là, c'est pour ton bien, Autant que pour le mien. Mais si je parle mal, C'est toi qui gagneras et nous, nous te suivrons. ÉLECTRE: Femmes, j'ai un peu honte à penser que mes larmes Font que vous me preniez pour un être intraitable. Mais les circonstances dictent mon attitude. Pardonnez-moi. Mais une femme de ma race, Devant son père meurtri, ne pouvait-elle pas Agir ainsi, quand nuit et jour, ces vils tracas Ne cessent de s'accroître et ne diminuent point ? Tout d'abord, ma mère, celle qui m'engendra, Femme pour qui je voue une haine implacable. Ensuite, cette vie dans mon propre palais, Cette promiscuité avec les a**a**ins De mon père : je suis sous leur coupe, et c'est d'eux Que l'on m'octroie - ou alors que l'on me refuse - Chaque chose. Et puis, imagine un peu mes jours, Obligée de voir Égisthe a**is sur le trône De mon père, arborant les habits qu'il portait, Et jetant au lieu même où il commit le meurtre Des libations. Enfin, suprême impudence, Voir ce meurtrier dans le lit de sa victime, Aux côtés de ma mère, enfin, s'il m'est permis D'appeler ainsi la créature qui couche Avec lui. Ah ! de sa part, quelle indignité Que de vivre auprès d'un être si répugnant, Sans craindre l'Érinye ! À vrai dire, elle exulte À l'idée de son acte, au point qu'elle a choisi Le jour où, par la ruse, elle égorgea mon père, Pour que dansent les chœurs, et pour sacrifier Des victimes aux dieux sauveurs. À ce spectacle, Au fond de mon palais, je m'effondre en sanglots, Et je hurle d'horreur à cette fête ignoble, Ce festin dénommé « Festin d'Agamemnon ». Or dans ma solitude, je ne puis même pas Épancher ma douleur comme je le voudrais. Car il est près de moi une femme qui croit Être majestueuse et qui, en fait, rugit Et m'injurie ainsi : « Maudite créature, Tout le monde a perdu son père ; et tu serais La seule à vivre un deuil ici-bas ? Ah ! meurs donc De la pire manière et que les Infernaux Ne consentent jamais à te laisser en paix ! » Voilà comme elle m'insulte ! Mais qu'elle apprenne Qu'Oreste est de retour, et sa rage est terrible, Au point qu'elle me crie : « Tout cela vient de toi ! C'est ton œuvre ! Ne nie pas ! C'est toi, ô perfide, Qui m'a ôté Oreste des mains. Mais sois sûre Que tu paieras ton ignominie au prix fort. » C'est ainsi qu'elle vocifère, et son bellâtre L'attise constamment, lui, ce modèle parfait De veulerie et de cruauté, qui ne peut Combattre que dans la compagnie des femmes. Et moi, qui voudrais tant qu'Oreste me revienne, Pour effacer cela, je me morfonds d'ennui. À force de tarder, mes espoirs de jadis, Comme ceux d'aujourd'hui, sont bel et bien rompus. Aussi, amies, comment puis-je être raisonnable, Être respectueuse ? Oui, quand le mal vous serre, On est forcé d'avoir les plus sombres visées. LE CORYPHÉE: Mais Égisthe est-il là pendant que tu me parles ? Ou n'est-il plus entre les murs de ce palais ? ÉLECTRE: Bien sûr ! Car s'il était près d'ici, sois certain Que je fuirai ce seuil. Il est parti aux champs. LE CORYPHÉE: Je me sens donc à l'aise pour m'entretenir Avec toi, puisque, selon toi, tel est le cas. ÉLECTRE: Il n'est plus dans ces lieux, parle-moi librement. LE CORYPHÉE: Bon, voici ma demande : il s'agit de ton frère : Va-t-il venir ? Retarde-t-il encore, dis ! ÉLECTRE: Il me promet son retour mais il n'en fait rien. LE CORYPHÉE: On hésite toujours avant une prouesse. ÉLECTRE: Oui, mais moi, je n'ai pas tardé pour le sauver. LE CORYPHÉE: Ne crains rien, son noble sang vous secourra tous. ÉLECTRE: J'ai confiance, sinon, je serais déjà morte. LE CORYPHEE: Silence ! Du palais vient de sortir ta sœur, Issue du même père et de la même mère, Chrysothémis. Elle apporte les offrandes Destinées, c'est l'usage, à ceux qui ne sont plus. Chrysothémis sort du palais, portant dans les mains des objets du culte funéraire. CHRYSOTHÉMIS: Mais quelles sont, ma sœur, ces paroles hurlées Devant le vestibule ? Ah ! le temps pa**e, et rien Ne change en toi, qui te complais dans les fureurs. Moi aussi, je sais bien qu'une telle existence Est odieuse et que, si j'en avais la force, Je leur débiterai ce que je pense d'eux. Mais en cas de tempête, il faut plier les voiles Et ne pas révéler un esprit résistant Si l'on est impuissant. Ma sœur, tu devrais faire Comme moi. Oui, c'est vrai, ma parole est moins pure Que la tienne, biens sûr... La Justice est chez toi. Mais la vraie liberté, c'est de céder aux forts. ÉLECTRE: C'est affreux de te voir, toi fille d'un tel père, Oublier ce père et n'écouter que ta mère. Car tout ton bavardage est le fruit de sa bouche : Rien de ce que tu dis n'est vraiment de ton cru. Or il te faut choisir : oublier la raison, Ou, alors par prudence, évacuer les tiens De ta pensée. Tu viens de me dire à l'instant Qu'avec quelque vigueur, tu cracherais ta haine Sur ces individus. Et moi, dont le désir Est la vengeance, eh bien, tu me dénies d'un coup L'action ! Au malheur se joint la lâcheté. Explique-moi pourquoi ce serait tout profit De mettre fin à ma lourde et terrible détresse ? Car, après tout, je suis vivante ! Je vis mal, Mais cela me suffit ; eux, je les terrorise, Ce qui est ma façon d'honorer le défunt, Si vraiment à l'endroit où il est, il s'en émeut. Toi, ta haine n'existe en rien, sauf dans ta bouche ! En fait, tu te fourvoies avec les a**a**ins De ton père, une chose à mon avis honteuse, Même si l'on m'offrait les dons appréciables Dont tu t'enorgueillis. À toi, les plats gourmands, Une vie de douceur. À moi, une pitance Qui ne m'étouffe pas et me fait rester digne. Qu'importe tes honneurs ! Je ne les cherche pas. Avec un peu d'honneur, tu fuirais tout cela. Alors que tu pourrais si bien revendiquer Par ton père un grand nom, tu préfères de loin Te lier à celui de ta mère. Il est clair Que pour tous, tu trahis nos parents, nos amis. LE CORYPHÉE: Maîtrise ta fureur, au nom de tous les dieux ! Ce propos serait bon, si toi, tu méditais Sur ses bonnes raisons, et elle, sur les tiennes. CHRYSOTHÉMIS: Femmes, je suis rompue à cette rhétorique, Et je n'aurais jamais évoqué ce sujet Si je n'avais eu vent qu'un mal va l'accabler, Qui devrait abréger ses lamentations. ÉLECTRE: Eh bien, dévoile-moi ce malheur : s'il est pire Que le mien, dans ce cas, je ne dirai plus rien. CHRYSOTHÉMIS: Je vais te relater ce que j'en sais. Voilà, Si ta plainte perdure, ils ont l'intention De te mettre en un lieu où, jamais plus, dès lors, Tu ne contempleras la lumière des cieux : Il veulent te murer dans quelque souterrain, Loin d'ici. Tu pourras y chanter à ta guise Tes sombres litanies. Réfléchis, et surtout, Ne me reproche rien quand tout arrivera : L'heure est enfin venue d'accepter la raison. ÉLECTRE: C'est donc ainsi qu'ils ont statué sur mon sort ? CHRYSOTHÉMIS: La chose est sûre dès qu'Égisthe sera là. ÉLECTRE: Si ce n'est que cela, mais qu'il se hâte donc ! CHRYSOTHÉMIS: Démente que tu es ! Quel vœu nous as-tu fait ? ÉLECTRE: Qu'il vienne à tout moment si tel est son projet ! CHRYSOTHÉMIS: C'est donc ta volonté ? La folie est en toi ! ÉLECTRE: Je ne demande qu'à vous fuir, et loin de tout. CHRYSOTHÉMIS: Mais ta vie d'aujourd'hui, qu'en fais-tu entre nous ! ÉLECTRE: Belle vie, en effet ! Fascinante à souhait ! CHRYSOTHÉMIS: Elle le deviendrait avec de la jugeote. ÉLECTRE: Ne va pas m'enseigner à trahir ceux que j'aime. CHRYSOTHÉMIS: Je t'enseigne à céder aux gens qui nous dominent. ÉLECTRE: Flatte si tu veux ! Moi, ce n'est pas ma façon. CHRYSOTHÉMIS: Rien de très admirable à sombrer dans l'erreur. ÉLECTRE: J'irai jusques au gouffre et vengerai mon père. CHRYSOTHÉMIS: J'ai le sentiment que mon père nous pardonne. ÉLECTRE: Il faut être bien vil pour souscrire à ces mots. CHRYSOTHÉMIS: Tu ne m'écoutes pas ? Tu refuses mon aide ? ÉLECTRE: Bien sûr, car aussi bas je ne suis pas tombée ! CHRYSOTHÉMIS: Eh bien, je me rends là où le devoir m'appelle. ÉLECTRE: Où vas-tu ? Et pour qui portes-tu ces offrandes ? CHRYSOTHÉMIS: Pour mon père : il s'agit d'un ordre de ma mère. ÉLECTRE: Pour celui qu'elle hait le plus fort en ce monde ? CHRYSOTHÉMIS: Dis-le jusqu'au bout, l'homme abattu tué de sa main. ÉLECTRE: Qui lui a suggéré cette idée saugrenue ? CHRYSOTHÉMIS: On m'a dit que la cause en est un cauchemar. ÉLECTRE: Ô nos dieux familiaux, serez-vous nos alliés ? CHRYSOTHÉMIS: Son effroi serait-il bienvenu selon toi ? ÉLECTRE: Raconte-moi ce rêve et je te le dirai. CHRYSOTHÉMIS: Je n'en sais que très peu : quelques détails, en fait ! ÉLECTRE: Livre-les toutefois. De bribes de paroles Peuvent naître l'échec ou le succès des hommes. CHRYSOTHÉMIS: Elle aurait vu surgir notre père à tous deux, Un spectre... Il aurait pris et jeté au foyer Le sceptre qu'il portait et qu'Égisthe détient À ce jour. Et soudain, un rameau bourgeonnant Aurait paru, immense, au point de rendre sombre Le pays mycénien. Je tiens cela d'un homme Présent au moment même où la reine exposait Son rêve au dieu Hélios. Et je n'en sais pas plus, Sinon que sa frayeur explique ma sortie. Par les dieux paternels, je te prie de tout cœur De ne pas te jeter au fond du précipice, Par folie. Aujourd'hui, certes, tu me repousses, Mais plus tard, je sais bien que tu me reviendras. ÉLECTRE: Non, ma chérie, ce que tu as entre les mains, Ne le dépose pas sur le tombeau : impie, Sacrilège serait d'offrir à notre père Ces dons, libations provenant d'une femme Criminelle. Veux-tu me jeter ça au vent ! Enfouis-moi ces horreurs dans un trou très profond Et que pas un seul brin n'effleure son tombeau. Qu'à sa mort seulement elle retrouve intacte, Son offrande ! Ô grands dieux, si elle n'était pas En ce monde la plus vile des criminelles, Jamais, ô grand jamais, elle n'aurait offert Au pauvre Agamemnon ces offrandes infectes. Réfléchis donc : crois-tu que le mort, sous sa stèle, Va se pâmer de joie en recevant les dons De celle qui souilla ignoblement son corps Jusqu'à le mutiler, et essuya son sang À ses cheveux ? Croit-elle expier simplement Son forfait par cela ? La chose est impensable ! Jette-moi ça, te dis-je, et coupe quelques mèches Sur ta tête. Tiens ! prends mes cheveux tout cra**eux, Et ma ceinture aussi qui n'est pas reluisante. Enfin, prosterne-toi et prie avec ferveur : Dis-lui de remonter du tréfonds de la terre, Et de nous secourir contre les criminels ; Qu'Oreste soit en vie pour que son bras vengeur Ma**acre ces brigands, et que son pied s'acharne Sur leur cadavre. Alors, nous pourrons honorer Sa tombe en lui faisant des offrandes plus belles Que celles-ci. C'est sûr, il a bien inspiré Cet effroyable songe à sa femme perfide. Ô sœur, active-toi à ta cause, à la mienne, À celle d'un grand roi nous vénérons tant, Qui repose au séjour infernal, notre père... LE CORYPHÉE: Les propos qu'elle tient, sont, ma foi, fort pieux : Amie, si la vertu t'étreint, il faut agir. CHRYSOTHÉMIS: J'agirai ! Une chose empreinte de justice Ne doit pas engendrer la controverse : il faut L'appliquer. Je vais donc faire une tentative. Mais pendant ce temps-là, amies, ne dites rien, Car si jamais ma mère apprend ce que je fais, Je n'ose imaginer ce que je deviendrais. Chrysothémis sort. (v.471) CHŒUR: À moins que je ne m'égare Dans la lecture des présages, Si je ne suis point dénué de sagesse, La Justice est en marche, triomphale. Dans peu de temps, ô ma fille, Elle va accourir. Et je me sens déjà tout en confiance Depuis qu'a été dévoilé ce rêve, Douce effluve. Il n'a rien oublié, Ce grand roi des Hellènes, Ton père, ni la hache d'airain à double tranchant Qui atrocement l'a**a**ina. Bientôt, avec ses pieds d'airain Et ses mains innombrables, Surgira l'Érinye qui se niche Au fond des embûches les plus glauques. Quelle infamie, ces étreintes d'alcôve, Et cet hymen souillé de sang, Dont le désir a terra**é Des amants monstrueux. J'ai confiance : Le présage qui se livre à nous Fera verser à cette meurtrière Et à son complice Des flots de larmes amères. Il n'est plus de prodiges, Ni de songes prophétiques, Si cette vision nocturne Ne se réalise pas. Ô course de chevaux Mené par Pélops autrefois, Tu fus la cause de malheurs sans nombre Dans le royaume. Depuis que Myrtilos Fut jeté dans les flots, Après qu'on l'eût tiré de son char d'or Avec une violence accrue, Des souffrance infinies Accablent ce palais, misérablement.

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