Bâillonner les poèmes On n'écrit pas La mort affreuse La violence inouïe La spirale du feu Le déluge d'acier Les vents mauvais Les canines limées du diable Et les ricanements de Dieu Bâillonner les poèmes On n'écrit pas Les enfants en charpie Les bébés pilés au mortier Les pieux enfoncés dans les femmes Les vieillards écartelés Les gesticulations des agonisants Les crépitements des flammes sur la peau Les chairs labourées au gourdin Les tendons sectionnés à la machette Les fosses débordant d'un limon de sang et de boue Les orbites évidées Les bras sans les mains Les pieds sans les jambes Les têtes sans les corps Le monde sans la raison Bâillonner les poèmes On n'écrit pas Les momies saupoudrées de chaux Les ossements empilés Les f*gots de fémurs Les copeaux de crânes Les pierres tombales invisibles Les gerbes de fleurs inutiles La solitude des survivants Leurs cœurs en lambeaux Emmurmurés dans des cauchemars impossibles à guérir Bâillonner les poèmes Ceux qui se regardent écrire Avec leurs effets de manche Leurs figures de style Leurs rimes plates Leurs césures Leur lyrisme Et leurs pieds à compter du bout des doigts Bâillonnez les poèmes ! Qu'ils se taisent Qu'ils se taisent Qu'ils se taisent Afin qu'il ne reste qu'un silence de mots