Il est temps de me faire quelques nouveaux amis Donc, parlons du show-business, si le cœur vous en dit Et jetons un regard dans ses abîmes horribles et derrière les coulisses Sur un représentant type, le plus beau spécimen d'imprésario: Gérard Bidon dit "Jerry Can" Le gourou du disque d'or, le roi des sons, l'empereur du compte en Suisse Voilà donc qu'un jour Jerry Can, en se promenant Et toujours à la recherche de nouveaux talents Rencontra un dénommé Arthur Ringard, quel hasard lourd de conséquences Debout à côté de lui, dans une vespasienne Il chantait en bégayant "I'm swinging in the rain" Et voilà, il était découvert, c'est ça la vie, dans ce métier, cela arrive en permanence There's no business like show-business! "Avec cette voix, toi, tu vas me faire un malheur Gros comme une maison...et comme ton postérieur" Puis il ajouta, comme l'autre le regardait de ses grands beaux yeux bêtes "Moi, c'est pas le truc intellectuel, entre nous Il suffit qu'un chanteur sache écrire son nom, c'est tout" Ce que fit Arthur, dans un effort sublime, sous un contrat d'interprète Aussitôt on commença à le remodeler, à lui bricoler vite une personnalité À lui refaire le nez, les dents, les oreilles et le ventre et le squelette On lui donna ses nouvelles opinions de tout Il changea le nom d'Arthur Ringard en... Daddy Blue Jusque-là, pas le soupçon d'une chanson, mais on fêtait la naissance d'une vedette! There's no business like show-business Quant aux enregistrements, c'était déjà plus dur Quoique Daddy ne fut pas encombré de culture Et que son niveau était celui de son tube, on frôlait la catastrophe Quoiqu'il connut, et dans ce métier c'est rare et louche La différence entre des notes et des chiures de mouche Au bout d'un mois de labeur, il en était encore à la première strophe Mais heureusement qu'un chanteur n'est pas obligé De savoir chanter, car entre nous, que deviendraient Tant de vaillants interprètes pour qui la chanson est la dernière chance? Non, Daddy émit des sons comme ça, au hasard L'ingénieur du son les ra**embla avec tant d'art Que ça donnait la chanson "Who who a shoobidoo ring-a-ding yeah, baby dance"! There's no business like show business Les paroles étaient de ce genre de poésie Que même un idiot prendrait pour une effronterie Mais le métier s'extasiait en y découvrant le message d'un prophète La musique était entre le rock et la bourrée Le truc vachement dansant, certes, mais engagé! Bref, une œuvre qui s'adresse à ceux qui logent leur cerveau dans leurs chaussettes C'est vrai que tous ces ingrédients exquis persuadent Les amis qui décident pour nous des hit-parades Où Daddy se plaçait grâce à son talent, parole d'honneur de journaliste! Tous les magazines chantaient ses louanges en chœur Et la télé vit un tel génie en ce chanteur Qu'elle lui consacra le super-show du samedi soir: Confetti, ballets et choristes There's no business like show-business Daddy sautillait, conforme aux mots pleins de sagesse "Plus ta chanson est minable et plus remue les fesses!" Et ne loupait pas de chanter Yesterday pour montrer toute sa palette Il reçut "L'Oreille d'Or", trophée de la critique Fit une tournée triomphale à travers l'Antarctique Et gagnait ce festival où il était le seul et le meilleur interprète Mais par-dessus les prix, on nous avait oubliés Nous, le public imbécile, qui a refusé De se procurer "Who who a shoobidoo ring-a-ding yeah, baby dance" Car même un crétin voit un jour qu'on se fout de lui Donc on matraqua son disque encore un peu et puis Comme ça ne marchait toujours pas, on laissa Daddy Blue mourir en silence There's no business like show business L'imprésario prend de nouveaux talents sous contrat Daddy Blue a fait sa rentrée dans l'anonymat Et il a du mal à retrouver sa place dans l'ombre en bas de l'estrade Quant au show business, il en a vraiment ras le bol Il a pris un job au journal "La vie agricole" Où il tient les rubriques "Les nouveautés du disque" et "Mon hit-parade"! There's no business like show business!