Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Pa**ion
Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans le livre, doucement monotones
Je descends à grands pas vers le bas de la ville
Le dos voûté, le cœur ridé, l'esprit fébrile
Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles
Les vitres des maisons sont pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang
D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies
Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul
Les fleurs de la Pa**ion sont blanches, comme des cierges
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge
C'est à cette heure-ci, c'est vers la neuvième heure
Que votre Tête, Seigneur, tomba sur votre Cœur
Je suis a**is au bord de l'océan
Et je me remémore un cantique allemand
Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous
Peut-être à cause d'un autre. Peut-être à cause de Vous
Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée, ta**ée, comme du bétail, dans les hospices
D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons
Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols
Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens
C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance
Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des Juifs
Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs
Je le sais bien, ils ont fait le Procès;
Mais je t'a**ure, ils ne sont pas du tout mauvais
Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre
Vendent des vieux habits, des armes et des livres
Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques
Moi, j'ai, ce soir, marchandé un microscope
Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques!
Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques
Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs
Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence
Je sais que vous daignez sourire à leur malchance
Seigneur, l'un voudrait une corde avec un nœud au bout
Mais ça n'est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous
Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit
Je lui ai donné de l'opium pour qu'il aille plus vite en paradis
Je pense aussi aux musiciens des rues
Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l'orgue de Barbarie
À la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier
Je sais que ce sont eux qui chantent durant l'éternité
Seigneur, faites-leur l'aumône, autre que de la lueur des becs de gaz
Seigneur, faites-leur l'aumône de gros sous ici-bas
Les rues se font désertes et deviennent plus noires
Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs
J'ai peur des grands pans d'ombre que les maisons projettent
J'ai peur. Quelqu'un me suit. Je n'ose tourner la tête
Un pas clopin-clopant…