[Miniature divisée en trois scènes séparées : en haut, à gauche, combat entre Yvain et Esclados avec, à l'extrême droite, le cheval tranché par la porte ; en haut, à droite, Yvain et Lunete s'entretiennent, et à droite, un visage qui regarde à travers une fenêtre dans une tour ; en bas, la procession avec le cercueil d'Esclados. ] Et monseigneur Yvain répond : " Jamais ils ne me tueront, s'il plaît à Dieu, et jamais je ne serai fait prisonnier par eux. - Non, dit-elle, car je vais y consacrer, avec votre coopération, toutes mes forces. Celui qui a trop peur n'est point un homme de valeur : c'est pour cela que je vous crois homme de valeur, car vous ne vous inquiétez pas à l'excès. Et soyez-en certain, si je le pouvais, je vous rendrais service et vous ferais honneur, car vous avez fait jadis la même chose pour moi. Une fois, à la cour du roi, ma dame m'envoya comme messagère. Je n'étais peut-être pas aussi avisée, ni aussi courtoise, ni d'une condition telle qu'il convenait à une jeune fille, mais il n'y eut aucun chevalier qui daignât m'adresser un seul mot, à part vous tout seul, qui êtes ici. Vous, au contraire, m'avez fait honneur, par votre grâce, et m'avez servie. Pour l'honneur que vous m'avez témoigné alors, je vous rendrais ici votre récompense. Je sais bien quel est votre nom, et je vous ai bien reconnu. Vous êtes le fils du roi Urien et vous vous appelez monseigneur Yvain. Soyez maintenant sûr et certain que jamais, si vous voulez avoir confiance en moi, vous ne serez ni capturé ni blessé. En revanche vous prendrez cet anneau qui m'appartient, et, s'il vous plaît, vous me le rendrez quand je vous aurai délivré. " Alors elle lui a vite remis l'anneau en lui disant qu'il a le même pouvoir que le bois qui est sous l'écorce qui le recouvre, de telle sorte qu'on ne le voit point. Seulement il faut qu'on le prenne en sa main de manière à enfermer la pierre dans son poing ; alors on n'a plus rien à craindre, même si on se trouve entre ses ennemis. Jamais ils ne pourront faire du mal à celui qui porte l'anneau à son doigt, car nul homme, même les yeux grands ouverts, ne pourra le voir, pas plus que le bois qui est masqué par l'écorce qui le recouvre. Voilà qui plaît fort à monseigneur Yvain. Et quand elle lui eut dit cela, elle le mena s'a**eoir sur un lit couvert d'une couette si somptueuse que même le duc d'Autriche n'en avait de comparable. Alors elle lui dit que, s'il en avait envie, elle lui apporterait de quoi manger. Et il dit que cela lui faisait plaisir. La demoiselle court rapidement dans la chambre et revient très vite ; elle portait avec elle un chapon rôti,
et un gâteau et une nappe, et du vin de bonnes grappes (un pot rempli, couvert par un hanap brillant), et elle l'a invité à venir manger. Et lui qui en avait bien besoin mangea et but très volontiers. A peine eut-il fini de manger et de boire, que les chevaliers se mirent à parcourir le château pour le chercher, car ils voulaient venger leur seigneur, qui était déjà déposé dans le cerceuil. " Mon ami, lui a-t-elle dit, vous entendez que déjà ils vous cherchent tous. Il y a grand tapage et beaucoup de bruit, mais, qui que ce soit qui pa**e par-ci ou par-là, ne bougez point, malgré le vacarme : car on ne vous trouvera jamais dans cet endroit si vous ne quittez pas ce lit. Vous verrez à l'instant cette salle remplie d'une foule très dangereuse et malveillante, car ils seront persuadés de vous y retrouver ; je crois aussi qu'ils vont apporter le cadavre par ici pour l'enterrer. Puis ils vont commencer à vous rechercher sous les bancs et sous les lits. Ce serait un sujet de joie et de divertissement pour un homme qui n'aurait pas peur, que de voir une foule aussi aveugle ; car je vous a**ure qu'ils seront tous si aveuglés, si déconfits et si frustrés, qu'ils seront ivre de colère. Mais je ne saurais vous en dire davantage, car je préfére ne pas m'attarder plus longtemps ; qu'il me soit permis cependant de rendre grâce à Dieu, qui m'a donné l'occasion et la possibilité de faire quelque chose qui vous plaise, car j'en avais grande envie. " Elle est aussitôt partie de son côté ; et quand elle s'en est allée, tous les gens se sont réunis. Ils vinrent aux portes de deux côtés en tenant des bâtons et des épées : C'était donc une grosse foule, une grande affluence de gens furieux et acharnés, et ils virent devant la porte une moitié de cheval, qui avait été tranché en deux. Alors ils croyaient être tout à fait certains que, une fois les portes ouvertes, ils trouveraient à l'intérieur celui qu'ils cherchaient à mettre à mort. Puis ils hissèrent ces portes qui ont occasionné la mort de maintes personnes. Mais, au lieu de tendre à l'intention de celui qu'ils a**iégeaient un trébuchet ou un piège, ils y entrent tous de front, et ils ont alors retrouvé l'autre moitié du cheval mort près du seuil. Mais ils n'eurent point d'yeux a**ez bons pour voir monseigneur Yvain, qu'ils auraient tué très volontiers. Et ce dernier voyait qu'ils enragaient, qu'ils étaient hors d'eux, dans leur colère : " Comment est-ce possible ? disaient-ils, car il n'y a ici ni porte ni fenêtre par où qui que ce soit ait pu sortir, si ce n'est un oiseau en s'envolant,