En fondant le think tank EuropaNova il y a dix ans tout juste, Guillaume Klossa ne s'imaginait peut-être pas tous les méandres que traverserait la construction européenne. Son credo : de nouvelles idées et de nouveaux dirigeants pour une nouvelle Europe. Tout jeune quadra, son engagement ne date pas d'hier. Enfant de la télé tombé dans la marmite de l'Histoire très tôt, il tire sa maxime favorite d'un bon mot de Bergson :« penser en homme d'action et agir en homme de pensée. » Entre un père inventeur, précurseur du monde numérique, et un grand-père, avocat du Général et républicain convaincu, portant les stigmates implicites de la Guerre, il avait de quoi s'inspirer. Et si on lui dit qu'à quatre ans, il connaissait par cœur l'appel du 18 Juin, Guillaume vous rétorquera qu'il est d'abord un homme qui porte les valeurs d'une génération qui refuse le cynisme, croît à la coopération, au progrès et à la dignité de l'individu. Un éclaireur. À seize ans, il lance le Journal du Parlement européen des jeunes. Distribué dans douze pays dès 1988, il lui permet de voyager dans tout le continent et de comprendre l'Europe et le monde à travers ses citoyens, son époque . Son histoire personnelle n'aura de cesse de se mélanger avec l'Histoire. Le 14 juillet 1989, il vit le bicentenaire de la Révolution dans les bureaux new-yorkais du Times, où il voyait fonctionner l'ISDN, ancêtre de l'Internet, pour la première fois. Cette révolution de l'information précède son premier discours, le 10 novembre 1989. Présidant la délégation française à Salonique, c'est lui qui a la lourde charge d'annoncer la chute du Mur à ses h*mologues européens. Apprendre à nous connaître Après ses études pluridisciplinaires HEC, Sciences Po, LSE, droit, histoire, il choisit des expériences professionnelles qui lui permettront de comprendre encore mieux le monde qui nous entoure.D'abord directeur digital de Bureau Veritas, puis éditorialiste à Métro et i>Télé, il est repéré par Vincent Bolloré qui lui confie plusieurs émissions sur Direct 8 avant d'être débauché par Jean-Pierre Jouyet dont il sera le conseiller spécial lors de la présidence française de l'Union européenne. Ensuite vice-président chez McDonald's, et désormais directeur à l'Union européenne de radiotélévision. Ce caractère touche-à-tout lui ouvre, partout en Europe, les arcanes du pouvoir. Alors qu'il prend le choc du 21 avril en pleine poire, il se dit que l'avenir est européen, mais que nos réflexes vont contre l'Europe, depuis 1989. Il mobilise des acteurs engagés et éclairés de tout le continent pour fonder EuropaNova, un think tank qui aura tôt fait de pa**er à l'action. En dix ans, ce collectif a pu lancer un programme de formation de jeunes dirigeants (40under40), des conférences continentales sur le futur de l'Europe (conférences Europa) et participer à l'élaboration du Traité de Lisbonne, pour sortir les institutions européennes de leur blocage post-2005. Il a même fait des petits dans le débat politique français, puisque sa vice-présidente, la philosophe Cynthia Fleury, a participé au lancement du parti Nouvelle Donne, et que son ancien secrétaire général, Thomas Houdaille, est devenu délégué général du mouvement Nous Citoyens. Prendre ses responsabilités Guillaume Klossa inscrit son action dans la durée, mais il sait que le temps des Européens pour peser sur le monde de demain est compté. « Nous avons au plus une ou deux décennies devant nous pour changer la donne », selon lui. Guillaume se dit, comme Zweig dans Le monde d'hier, qu'« en se mobilisant ensemble, ceux qui ne voulaient pas la guerre auraient pu l'éviter.» Un temps nouveau s'ouvre à nous. « L'idée de l'Europe, c'est qu'après nous être beaucoup détestés, nous allons enfin apprendre à nous connaître .» professe-t-il. En apportant sa contribution à cette construction collective, Guillaume Klossa prend, chaque jour, ses responsabilités. Son besoin de comprendre et de s'engager est sans fin, au point qu'on ne l'imagine pas pérorer toute la sainte journée sur sa chère île Saint-Louis. Il pa**e sa vie aux quatre coins du continent. Tout juste a-t-il pour le moment un samedi par-ci par-là. En attendant, notre jeune quadra vient de publier sa Jeunesse européenne, un récit sur la dynamique historique qu'est l'Europe et le ressenti de sa génération dans ses différentes étapes. Bien sûr, Guillaume ne se compare pas à Malraux (D'une jeunesse européenne) ni à Péguy (Notre jeunesse), et ne recherche pas l'écriture prophétique d'un Suarès dans ses Vues sur l'Europe . Pourtant, dans une époque où chacun cherche des repères, il pose avec talent une question morale et générationnelle. « Notre génération est celle des invisibles, des impuissants. Déserteurs de leur propre Histoire, nous voulons en devenir acteurs, ici et maintenant. » À l'âge où une génération prend les responsabilités (le cofondateur d'EuropaNova, Enrico Letta, est président du Conseil des ministres italien depuis avril 2013), il veut donner le pouvoir aux citoyens, et, comme nous y incite Pierre Rosanvallon, raconter la vie.